
Dans la douceur de cette soirée de juillet, veille de fête nationale, j’ai enfilé ma plus jolie robe pour rejoindre mon amie Céline, dans l’élégant jardin des Tonneliers, sur les berges du Canal du Midi, à Homps. Notez, nous aurions pu nous rendre au fameux bal, telles deux princesses des temps modernes, mais à nos âges, on ne croit plus aux contes de fées. Nos princes, de moins en moins charmants, préfèrent légumer que de nous y emmener. Et ma foi, force est de constater que ceux qui subsistent, pour donner raison à d’autres de mes amies, sont soit de vieux batraciens, soit de jeunes tétards très suspects, grenouillant sur les sites de rencontres, coassant « moa, moa, moa », à grands coups de photos de profils honteusement truquées et de statuts fallacieux... Alors, Mesdames qui lisez cette chronique et avez, comme nous, dépassé le temps des illusions, je m’adresse à vous: oubliez sans vergogne le bal et sa valse à trois temps, beaucoup moins troublante qu’une valse à vingt ans. Qui a envie d’être une princesse*, enfermée dans des carcans sexistes et conventionnels, lorsqu’elle peut être une reine et décider de mener sa propre danse? Oui, une reine. Que dis-je: THE Queen. Libérééééééée, délivrééééééééééée! (seules les mères de famille comprendront)
Ma digression introductive n’est pas vaine: je m’apprête à vous parler d’une autre valse, beaucoup plus charmante, qui se joue ce soir. Celle des mets et des vins qui viennent parfaire nos retrouvailles, comme toujours. Car en amitié, comme en amour, tout se dit, se fait et se défait autour de la table, non?
Les accords d’une valse à cinq temps
Repris par le couple de vignerons du Clos de Vènes, Sylvie et Christophe Jacquel, associés aux restaurateurs Anne et Alain Maurel, l’établissement a rouvert ses portes récemment. Le concept tient à un menu unique de cinq plats, variant chaque semaine, proposés en accord avec (ou sans) cinq vins du Minervois. J’en entends crier certain(e)s à la contrainte, faute d’une carte à rallonge. Pour la cuisine, il va sans dire que c’est gage de fraîcheur, mais je vais y venir. Quant aux vins et pour contredire mon propos doux-amer ci-dessus: parfois, oui, il est bon de se laisser conduire. C’est particulièrement vrai pour les néophytes en la matière. Parce que je ne vous l’ai pas encore dit, mon amie n’a qu’un seul défaut: elle n’aime que le whisky (quand je vous parlais de princesses des temps modernes). Alors je tâche humblement de l’initier à ma passion, à chacune de nos rencontres.
Florian, leur jeune serveur timide que je ne parviendrai pas à photographier, dispose les amuse-bouches. De saison, la courgette, veloutée, aérienne même, est exhaussée par le cumin. Sur cette épice intervient la cuvée « Pech-Quisou », du Château Mignan (AOC Minervois). Un assemblage de grenache blanc, roussanne, marsanne et vermentino, cultivés en agriculuture biologique sur l’un de mes terroirs favoris: le Petit Causse. Moi qui suis si difficile en matière de blancs, me dis qu’il est presque dommage d’ouvrir le bal sur un rythme aussi rapide. Son attaque nette, un parfum de fleurs d’amandiers et une bouche de pêche de vigne, ne nous font pas regretter de ne pas avoir été danser.
Lors des entrées, nous divergeons. Mon amie se laisse guider et déguste le rosé 2016 du Mas de Fauzan. À vrai dire, le rosé et moi-même avons des liens distendus. Je me permets une incartade en restant sur du blanc, il faut croire que j’y prends goût. De prime abord, le dressage est trompeur. Vient la première bouchée. Les produits y sont à peine travaillés, tels que je les apprécie et tels qu’ils le méritent. Sur cette tuile de parmesan, la tomate, locale, y est généreusement tranchée. Sucrée, juteuse, elle est accompagnée d’une tranche de jambon cru, fondant, affiné juste ce qu’il faut et d’une sauce crémeuse. Alain Maurel ne verse pas dans le chichiteux. Sa cuisine est sincère et traduit, crois-je, l’état d’esprit que Christophe et Sylvie ont souhaité donner aux Tonneliers. Si l’élégance est au rendez-vous, l’authenticité la devance, ici.
L’atomique syrah du Clos de Vènes
Selon Samy, notre sommelier (méfiez-vous, mes chères, il pourrait bien décrocher votre 06, l’air de rien), les femmes ont une plus grande sensibilité aux substances organoleptiques. Et les vins lui semblent volontiers relever d’une certaine féminité, eux aussi. La suite va confirmer son premier propos et démentir le deuxième. Elle nous est servie au plat et non à l’assiette, tout simplement. Les reines, telles les rois, se repaissent de viande, pas de salade. Sur le duo pluma de porc ibérique et agneau, grillés à la braise sous nos yeux, déboule littéralement la cuvée « Montado Dal Plo » de Sylvie et Christophe. Comme un raz-de-marée gustatif: à la vitesse d’un cheval au galop. Oubliez le pauvre petit prince le chevauchant, il a chu, peuchère, ne tenant pas la cadence. Issue d’une production quasi-confidentielle en biodynamie, cette syrah majoritaire se montre atomique. Une bouche pleine, intense, aux tanins fermes, un nez de fruits noirs et de cuir, en font une cuvée virile, enveloppante, puissante avec ses 15.5°. Mais sans la grossièreté qui peut parfois caractériser ce cépage (non, elle n’est pas systématiquement l’apanage de la masculinité, heureusement). Seule une trace d’élevage encore un peu présente sur ce millésime 2015 me pousse à dire que quelques années de plus lui siéront bien.
Derrière cette cuvée gustativement dominatrice, il est difficile de boire autre chose, comme en convient Samy. Il nous propose pourtant le tempranillo des « Dessous de l’Enfer » du Domaine de la Combe Blanche, assemblé à un peu de grenache. Sur les hauts des côteaux de Calamiac, à La Livinière (j’ai déjà parlé de l’Enfer ici), en son sol argilo-calcaire marneux, s’épanouit ce cépage ibérique, plutôt rare chez nous. Comme une piqûre de rappel aux origines qui nous unissent mon amie et moi, ce rouge almodovarien au nez de cerise et de framboise, un peu « pain grillé », se montre irréprochable sur l’onctuosité du brie, le piquant-acidulé du poivre de Sichuan et la douceur du miel, servis à part. Il y a là une ampleur, une souplesse de corps et une force maîtrisée qui m’évoquent le mouvement des robes traditionnelles des danseuses, sur la guitarra flamenca. Un natif du plat pays qui hispanise un vin du Minervois: il me fallait le noter.
Enfin, sur la pâte persillée (j’ai double ration de fromages, car pour mon plus grand plaisir Céline les déteste), vient le muscat petit grain du « P’tit Dernier » du Domaine de Barroubio, inspiré par Nicolas, le jeune fils de Raymond Miquel. Parce que vinifier, c’est aussi chercher et se diversifier, on sort ici du cahier des charges des Vins Doux Naturels, pour du moëlleux, moins sucré, moins alcoolisé (I.G.P Pays d’Oc). Par parenthèse, j’ai eu l’occasion récente de participer à une verticale historique en la demeure du pape du Muscat de Saint-Jean-de-Minervois, où les mets ont valsé eux aussi, autour de sa mythique cuvée « Carte Noire », de 1990 à 2005. Un exercice mémorable, qui n’en fut pas vraiment un. Bref, son dernier bébé, original, aux arômes exotiques sur une finale de cédrat confit, se marie aussi au dessert, dont je n’en dirai pas plus. Un peu de mystère ne nuit pas, après tout (et oubliez donc vos régimes, Mesdames, par pitié.).
La partition de la soirée s’est joliment jouée. Seul le vieux piano trônant dehors près du bassin est hélas désaccordé. À son grand désespoir, mon amie ne me jouera pas une valse de Chopin… Mais à cette heure avancée de la nuit, nos carrosses nous attendent. Il est tant, pour les reines de familles que nous sommes, de regagner nos royaumes.
« Elles vécurent enfants et firent beaucoup d’heureux… »
* Voudriez-vous des nouvelles de l’une des fameuses princesses, Mesdames? En voici!
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