
L’homme et la nature savent se donner la main. Parfois, pour le pire. Ces dernières semaines, ils ont concomitamment montré leurs visages les plus cruels. Après ce nouvel acte de barbarie terroriste, ces épisodes de gel laissant viticulteurs et arboriculteurs sur le carreau, sans parler de cette période électorale en mode 2.0, où se sont confondues liberté d’expression et propagation d’une logorrhée des plus haineuses sur les timelines; je me sens poussée à faire un pas de côté, pour vous parler d’amour. Oui, d’amour, de mixité et de bons vins, comme autant de points d’ancrage, de certitudes, si ténues deviennent-elles, m’attachant au beau et au vivant. Car notre terre Minervoise est une mère généreuse (j’ai écrit généreuse, je n’ai pas écrit parfaite. Mais quelle mère peut se targuer de l’être?). Si elle coule dans les veines de ses enfants biologiques, son cœur a aussi de la place pour la progéniture adoptive dont je fais partie. Nous, les estrangièrs, comme disent les languedociens, tombés en amour pour ce territoire, qui l’avons dans la peau. Pour l’aimer, ce Minervois; je veux dire capturer la beauté de ses paysages, saisir la pluralité de ses terroirs et apprendre l’histoire de ses femmes et hommes; je crois qu’il faut le boire jusqu’à la lie. Et recommencer. Parce qu’il se meut sans cesse.
« Amateur, amateur: est-ce que j’ai une g… d’amateur?! »
Cette année encore, il nous a été donné de le faire, à l’occasion de la sélection de la Maison des Vins. Un rendez-vous à l’aveugle avec 358 cuvées en AOC: Minervois, La Livinière, Muscat de Saint Jean de Minervois et IGP, produites par pas moins de 132 domaines et caves. Côté jurés, à ceux de la première heure, s’ajoutaient les néo-vignerons d’ici et d’ailleurs, mêlés à d’autres professionnels du vin et à de simples amateurs. Entre vous et moi, au terme d’amateur, je préfère volontiers celui d’œnophile, qu’emploie à juste titre Claude Fischler dans son ouvrage « Du Vin ». Celui-ci y définit par ailleurs ce qu’est un amateur: « c’est bien sûr le contraire du professionnel et, en ce sens, dans notre culture de plus en plus imprégnée de valeurs empruntées à la sphère managériale et technique, l’amateurisme est une grave accusation. Mais l’amateur est aussi et surtout, étymologiquement, celui qui aime. L’amateur aime et veut donc découvrir, savourer, savoir toujours d’avantage de l’objet de son amour. ». J’ajouterais à cela que, selon moi, les meilleurs professionnels sont ceux qui ont su préserver un cœur d’ « amateur », mariant harmonieusement la distance technique, une analyse froide et didactique, au nécessaire ressenti d’une émotion, d’un élan, n’obéissant à aucune règle: ceux qui écoutent leurs baticòrs*!
Bref, ces 120 dégustateurs formaient 30 jurys hétéroclites, regroupés par tranche de prix, la seule variable connue d’emblée et non des moindres.
Parmi eux, le vigneron Luc Lapeyre, du domaine L’Amourier. Échanger avec Luc, dont l’allure en impose, c’est paradoxalement rencontrer le calme et la sagesse. Luc fait partie des bâtisseurs du Minervois, dans le paysage depuis 40 ans, après que ses ancêtres lui ont ouvert la voie du vin. Selon lui, il était important de participer à cette sélection: « pour observer le renouvellement, tant des vins, que des vignerons, sur un territoire d’une grande richesse humaine, où la qualité domine à présent. La mixité du jury est elle aussi primordiale: elle permet de confronter les théoriciens aux consommateurs. C’est un exercice très subjectif, mais qui ne doit pas être affilié à un palmarès. Le jury est là pour sélectionner, en fonction de sa perception qualitative, au regard du prix. Et le degré d’exigence croît avec ce dernier. »
Julien Salles, jeune vigneron qui a pris la suite d’un oncle négociant et cultive 9.5 ha en conversion bio, gère le château l’Armoria (anciennement Prat-Majou). S’il confiait n’avoir que peu d’expérience en dégustation, il voyait là l’occasion de situer ses vins et ses prix, parmi ceux des autres producteurs.
Guy Crawford fait également partie de ces nouveaux vignerons. Après une carrière internationale dans l’hôtellerie de luxe, il a racheté avec son épouse Elizabeth, le Domaine de la Senche, à La Livinière en 2009 et vinifié sa première récolte en 2015. Pour lui, qui se félicite de l’avenir radieux s’ouvrant au cru, c’était l’occasion de déguster plus et mieux! « Je viens pour comprendre comment sont décernés les fameux coups de cœur et mettre à profit un stage en dégustation réalisé il y a peu, en échangeant avec les autres membres » m’expliquait-il, avec un bel accent écossais.
Le restaurateur Jonathan Plieu, aux commandes des Meulières (soit dit en passant, une adresse à retenir), participait pour la deuxième année, afin d’identifier les vins à proposer à la carte de son établissement, mais également: « Pour soutenir le cru La Livinière, moi qui depuis 8 ans, en ai vu le niveau s’élever ».
Vous l’aurez compris, le maître-mot de ces dégustateurs de tous horizons était « qualité ».
Les coups de cœur
Sur les 290 cuvées sélectionnées à l’issue de cette dégustation, 30 coups de cœur ont été décernés. Si je ne peux évidemment vous en faire un inventaire à la Prévert, vous les retrouverez tous ici.
Dans mon propre jury, sur les rouges 10-12 €, nous en avons décerné deux. Attention, il ne s’agissait pas d’une dissonance de pros contre amateurs, mais de ce cliché, vieux comme le monde, j’ai nommé: le désaccord hommes-femmes! Impossible de départager le solaire et si sudiste « Carignanissime » 2013 du Clos Centeilles (au nez épicé, cacaoté, légèrement fumé et à la bouche charnue, pleinement sur le fruit) et le profond « Orebus » 2014 du domaine Pierre Fil (structuré et intense, avec son nez de garrigue et de zan, poivré et légèrement boisé, aux arômes de fruits noirs bien mûrs, sur une finale vanillée). Et comme c’est amusant, je vous laisse deviner lequel avait la faveur de chaque gent…
Pour les autres jurys, par ordre de prix, citons l’ « Otonis » 2014 (du nom du premier seigneur d’Olonzac) des Celliers d’Onairac, à la syrah majoritaire. Une cuvée pleine de souplesse, à la bouche de fruits rouges et d’épices, vendue à moins de 6 €.
Toujours en AOC Minervois rouge, la « Griotte de Ventajou » 2015 (en référence à la fameuse couleur du marbre produit à Félines), du Domaine du Petit Causse a décroché un coup de cœur, pour une cuvée plaisir par excellence, ronde, gourmande et juteuse…à 8.50 €.
Côté Muscat de Saint Jean de Minervois, le « Grain de Lumière » 2015 du Clos Bagatelle, minéral, aux notes d’agrumes et de verveine citronnée, a fait l’unanimité (à moins de 9 €)
Le Château de Paraza a quant à lui remporté 2 coups de cœur pour le millésime 2016, l’un pour sa cuvée « Velvet », un blanc de velours, assemblage de roussanne et grenache blanc ; l’autre pour son rosé rebelle « Bad Rosie », au nez de fraises des bois et de groseilles (chacun autour de 9/10 €).
Enfin, montant en gamme et en prix, je me devais de mentionner « La Chandelière » 2015 (AOC Minervois La Livinière) produite par un belge « adopté » par le territoire depuis 36 ans: Guy Vanlancker, du domaine de la Combe Blanche. Parfaite illustration de ce qu’est un grand vin, selon moi.
En effet, si en tant que simple œnophile, je devais résumer ce qu’est un « bon vin », au delà des critères gustatifs hautement subjectifs, je dirais qu’il n’est pas nécessaire d’être né ici pour en faire, pas plus qu’il n’est besoin d’avoir vu le jour dans un tonneau pour le comprendre. Le « bon vin » est celui qui a quelque chose à dire de là où il vit. Et le vigneron est son porte-voix, racontant l’histoire au fur et à mesure qu’elle s’écrit. Loin d’être figée, en Minervois, elle se nourrit autant du passé que du présent, de ceux qui l’ont construit patiemment, obstinément parfois, et de ceux qui, grâce à eux, en franchissent la porte, avec des idées nouvelles. La seule constante? C’est l’amour!
Photos: Arnaud Chabé
*En occitan, « baticòr » signifie « battement de cœur », mais traduit également l’émotion.
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