
Aujourd’hui, je pars à la rencontre de la jeune garde des vignerons coopérateurs du Minervois : Eric Latorre, 24 ans, de Peyriac-Minervois, Mathieu Frisan, 28 ans, de Puichéric et Julien Ferrand, de Rieux-Minervois, leur doyen, du haut de ses…32 ans.

De g. à d.: Mathieu Frisan, Julien Ferrand et Eric Latorre
Chemin faisant pour les rejoindre à Homps, je replonge en enfance et me remémore Monsieur Alexandre, l’un de nos voisins viticulteur dans les Corbières, adhérent depuis 32 générations à la coopérative du village (j’exagère à peine). Cet homme presque centenaire, que j’aimais beaucoup étant petite, s’adressait à mon grand-père dans une langue que je ne comprenais pas (en occitan, souvent, et peut-être aussi en français, mais avec accent audois à couper au couteau), béret vissé sur son crâne tout dégarni, une g… maïs au bec et une canne à la main. Bref, un « vieux de la vieille », dirais-je sans moquerie, plutôt « old school » !!! (ne riez pas, car enfant, ce vieil homme m’a offert deux bouteilles de son cru en faisant promettre à ma famille de les ouvrir à ma majorité, ce que nous avons fait. Après tout ce temps, le vin était malheureusement perdu et ressemblait plus à un vieux vinaigre balsamique, qu’à un bon vin rouge de garde, mais c’est une autre histoire…).
Alors, en arrivant, à voir ces trois jeunes hommes attablés, je me dis que les temps du Pépé Alexandre ont bien changé : la relève est là, jeune et dynamique. Néanmoins, je me questionne sur leurs parcours : sont-ils tous tombés dans le vin quand ils étaient petits ? Et surtout, comment, à cet âge, dans un contexte économique et des conditions climatiques aléatoires, décide-t-on de devenir viticulteur?
Portraits croisés
Ils sont de prime abord plutôt réservés. On nous sert un verre de blanc de la Tour Saint Martin (Coopérative de Peyriac-Minervois) et, in vino veritas, les parcours de vies se précisent.
Mathieu est le plus récemment installé. Bien que fils d’exploitant à Puichéric, il n’a pas immédiatement démarré dans la viticulture. Au milieu des années 2000, dissuadé dans un premier temps par son père en raison des affres de la crise viticole, son BTS électrotechnique en poche, il travaille dans ce secteur, notamment chez Airbus, à Toulouse. Ce n’est qu’en 2013 qu’il décide de reprendre l’exploitation familiale et adhère, tout comme son père, aux deux caves coopératives de Puichéric : Les Celliers du Nouveau Monde et Le Progrès.
Eric a quant à lui, dès son plus jeune âge, envisagé de reprendre le flambeau, tout comme les trois générations précédentes. Il fait partie de ces jeunes qui sont certainement montés sur un tracteur avant même de savoir marcher. Il y a 6 ans, après ses études au Lycée Charlemagne (lycée d’enseignement GT agricole, à Carcassonne), il poursuit l’exploitation familiale et adhère tout naturellement lui aussi, comme son père, à la cave de Peyriac-Minervois.
Julien, après être également passé par la case Charlemagne (oui : c’est un vivier), s’installe en 2003 pour reprendre l’exploitation de son grand-père à Rieux-Minervois, alors donnée en fermage par ce dernier. Il adhère au groupement de coopératives Alliance Minervois. Il prendra bientôt du galon, avec l’arrivée toute prochaine d’une petite fille (et je me dis à l’écouter, qu’elle aussi montera sur un tracteur sur les genoux de son père avant de savoir marcher). Il est, pour l’heure, le seul à envisager le basculement partiel en cave particulière : « sur seulement 4 hectares de mon exploitation, que je souhaite destiner à une montée en gamme, visant des clientèles de niche, des restaurateurs des bassins carcassonnais et narbonnais, des comités d’entreprises… ».
Ils exploitent chacun plus d’une vingtaine d’hectares pour des productions allant de 1100 à 1600 hectolitres par an. Des productions d’une échelle certes familiale, mais qui leur demandent néanmoins beaucoup de travail et une bonne dose d’abnégation. L’évolution du secteur viticole, ils la connaissent au quotidien et y contribuent, même. Eux qui ont vu certains moyens se moderniser, les traitements, ainsi que les rendements se raisonner et les productions gagner en qualité, se félicitent de la reconnaissance professionnelle de nos vins en Minervois et de l’intérêt croissant qu’ils suscitent auprès du grand public.
Ces jeunes coopérateurs, que je voyais au départ comme « les hommes de l’ombre » (comprenez ceux que vous ne rencontrerez pas tous les jours devant leur étal dans un caveau de vente, comme c’est le cas des vignerons indépendants), savent tout autant parler de technique, que de marchés, même s’ils ne participent pas directement à la promotion ou à la commercialisation de leur vin. Ils sont en effet impliqués à différents niveaux d’exercices : de l’élaboration des vins en cave, comme pour Mathieu, aux décisions des conseils d’administration, en passant par l’animation de différents dispositifs locaux comme le relais CDA Minervois Corbières à Rieux, ou le dispositif Jeune Agriculteur du canton de Peyriac, pour Julien et Eric.
Regarder devant soi

Les Trois Blasons: rosé produit par le groupement Alliance Minervois
Je les titille quand même un peu sur les effets de mode des vins en France et l’uniformisation potentielle des goûts (c’est mon côté militant de l’exception culturelle, mais peut-être aussi l’effet du deuxième verre de vin que nous buvons : un Château La Grave, si vous voulez tout savoir). Et lorsque je leur demande s’ils sont curieux des vins produits par d’autres sur le territoire, Julien répond: « Bien sûr, on goûte, on teste le vin des autres, cela permet d’évoluer et d’échanger. Chacun a sa spécificité. Il y a, chez nous une grande diversité des terroirs et une palette de goûts tout aussi diverse, qui ne peut laisser place à l’uniformisation. Ainsi, plus largement dans la région et sur un même cépage, selon que la vigne est située sur un plateau exposé aux embruns de la côte maritime, ou plutôt plantée en plaine, à l’intérieur des terres, le vin produit n’a jamais le même goût». « Il y a, bien sûr, des tendances, comme celle du rosé, qui connaît ses heures de gloire chez nous depuis quelques années », ajoutent-ils.
Certes la crise est passée par là, mais la remontée actuelle des cours est prometteuse et comme ils le disent: « celle-ci a été plus longue que les autres, c’est un fait. Mais ce n’est pas la première, ni peut-être la dernière, il faut regarder devant nous ». Même Mathieu, dont l’exploitation a subi le violent orage de grêle l’an passé et qui a perdu la moitié de sa production, préfère évoquer les aspects positifs et son « rattrapage » sur la production épargnée.
Vous l’aurez compris : la passion du métier, elle, reçue en héritage, reste intacte.
Et depuis peu, selon eux, à en croire le nombre croissant d’installations ou de reprises de jeunes viticulteurs, il y a de quoi se réjouir. Enfin, on voit aussi ça et là des (re)plantations de parcelles, notamment de cépage carignan, dans le Minervois. Pour tous ceux qui ont connu le début de la dernière crise viticole et le crève-cœur des vignes arrachées, laissant nos paysages comme «troués» : c’est le renouveau et l’espoir.
En partant, je me dis que le Pépé Alexandre n’est finalement pas si loin et qu’il serait fier de les voir s’investir et travailler leur terre, comme lui en son temps, a travaillé la sienne.
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