
Lorsque j’ai commencé à m’intéresser au vin, c’est-à-dire autrement qu’en sélectionnant une bouteille au prix, aux degrés d’alcool en fonction de la soirée ou encore grâce à la beauté de l’étiquette… Je suis tombé des nus de constater que quand il y a écrit Château sur une bouteille, la dégustation au caveau ne se passait pas forcément à Chambord ou Versailles.
Car oui, je l’avoue ! C’est avec plein d’espoir, dans ma grande jeunesse (c’est-à-dire il y a 5 ans), que je suis parti déguster AU Château… Autrement dit, je me suis imaginé avoir accès à un musée gratos pour le prix d’un verre de vin gratos lui aussi… Donc, armé de mon bob Ricard gagné au tour de France 1999 (super millésime), mes tongues et mon appareil photo autour du cou, j’ai erré dans un petit village du sud de France durant des heures entières à la recherche DU château. Puis je suis tombé sur un magnifique pavillon plein pied, avec une porte automatique typique du XXIIème siècle décoré d’un splendide cadre rendant hommage à un chanteur du nom de Johnny H. (je ne cite pas le nom complet pour des questions de droit d’auteur).


Effacé mes rêves de chasseur de fantôme… Snif…
Bon je dois tout de même avouer que quelques années plus tard, quelques recherches et dégustations entourées de spécialistes en plus, le concept du mot château sur une étiquette de vin me semble toujours aussi flou. (Les dégustations à répétition n’aident pas non plus je vous l’accorde).
N’étant pas de nature juriste, ce que j’ai compris, c’est qu’historiquement la dénomination de château (soit une entité correspondant à un domaine) servait à distinguer les breuvages provenant de raisins nobles (appartenant à des nobles) des autres breuvages provenant du bas peuple (la notion de qualitatif est ici très importante).
Aussi le terme de « clos » apposé sur une bouteille est associé à un domaine clôturé sans obligation de bâtiment au milieu ou encore celui de « mas » nécessite un corps de ferme au centre de la propriété viticole.
I
C’est réellement au XIXème siècle que dans le Bordelais apparaissent les châteaux viticoles en tant que marques « dites » déposées avec notamment le Château Margaux. (Petit cru fort sympathique que mon caviste m’a conseillé récemment – mon banquier, par contre, n’était pas du même avis)
Evidemment, avec ce bagage historique, l’appellation château devient un gage de qualité pour tout amateur de vin. Il s’en suit alors 200 ans de batailles juridiques afin de clarifier la chose. Nombre de vignerons ont tenté de faire construire des tours et de creuser des douves autour de leurs maisons de campagne afin d’avoir l’image du raisin noble auprès de l’amateur (qui rêve d’avoir Zzzze Vin à avoir dans sa cave, pour le servir à sa belle maman plein de fierté, lors des fêtes de noël).
Quelques heures de débats à l’assemblée plus tard (soit deux siècles de passionnantes émissions du mercredi après-midi non diffusées pour des raisons que je vous laisserai deviner), nous sommes arrivés à peu près à cette loi : ont le droit de s’appeler château ceux qui ont un vin en AOP, des raisins récoltés sur des parcelles appartenant à l’exploitation, et ceux qui effectuent leur vinification sur l’exploitation (Loi de 2012).
En gros, j’achète un ha de vigne, je fais de l’AOC, je vinifie chez moi tout ça et je mets ça en bouteille et je peux faire une super déco sur l’étiquette : Château Athanaël… (Désolé pour les juristes et vignerons qui viennent d’avoir une attaque en lisant cette dernière phrase).

Lorsque j’ai aménagé à Pouzols-Minervois, j’avais vaguement entendu parler d’un château mais ma première expérience ayant un peu refroidi mes ardeurs de chasseur de patrimoine, je n’avais pas creusé la question plus que ça. Puis en discutant avec les uns et les autres, on m’a relancé sur ce château. Il y a en effet un grand parc clôturé avec une belle bâtisse qui parait vigneronne. Mais sinon je ne voyais pas. Au final, je me suis sacrifié pour l’amour de l’histoire et j’ai tapé à la porte pour une dégustation.
Bon, faut dire que j’avais la pression. On m’avait dit : « ah, tu vas voir le Baron ??? » Résultat : j’ai dû dire à peu près 50 fois à la personne qui partage ma vie : « je me prépare pour le Baron » – avouez que ça claque quand même !!! Ma conjointe n’était pas du même avis (mais alors pas du tout) !
Le château est attenant à un gros corps de ferme et au milieu d’un parc magnifique. Il n’a certes pas de tours, ni de meurtrières mais la grandeur de la bâtisse et le détail que l’on peut observer aux fenêtres et aux murs attestent de la noblesse du lieu.
C’est en toute simplicité et avec une grande gentillesse que m’accueille Francois-Regis de Fournas dans sa demeure (Zut, c’est quelqu’un comme tout le monde et il n’a même pas de perruque, c’est loupé pour le baise-main). L’intérieur de la bâtisse est splendide. La porte d’entrée donne sur un couloir en pierre et marbre d’une trentaine de mètres. Nous passons dans des pièces avec des tentures n’ayant rien à envier à Bayeux. Puis, nous arrivons dans une pièce qui semble être une cuisine. Cuisine dotée d’une cheminée avec four à pain qui doit faire à vue de pif 4 ou 5 m sur 3. Bref, j’étais sous le charme… J’avais l’œil qui pétillait tel un Stéphane Bern qui découvre les archives des invalides avant tout le monde… Jusqu’à que je me rappelle ma dernière facture Edf pour notre modeste 70m2 ; Je pense m’être dit à ce moment-là : « ça doit pas être si funky que ça tous les jours d’être baron ».
Installé, et tout en dégustant plusieurs vins de sa gamme, François Régis, accompagné de sa femme me conta l’histoire du domaine : 21 générations se sont succédées au domaine depuis l’an 1437. Plus de 550 années de transmission, de savoir-faire et de passation (1437 est par ailleurs le nom donné à une cuvée prestige fort sympathique).
Le roi soleil (himself) est venu à Pouzols en 1660 et a séjourné une nuit, accompagné de la reine mère et Mazarin. Le repas a dû être agréable puisque que Monsieur 14 a commandé quelques cartons du breuvage Pouzolais pour la cour. #laclasseàdallas
Le château abrite de nombreuses archives attestant de ces quasi 6 siècles d’histoire. Bref, un trésor pour tout passionné d’histoire.
Loin de l’image d’Epinal que l’on peut se faire de la noblesse française, Françoise Régis de Fournas et Claire, sa femme, mettent les mains « dans le cambouis » pour faire de leur vin une excellence. Ils ont l’amour du métier. Claire est ingénieur agricole, œnologue, et s’occupe de la vinification et de l’élevage des différents crus sur le domaine.
Il n’est pas rare non plus de croiser dans le village Mr le Baron sur son Tracteur qui revient des vignes.
La propriété comprend désormais près de 34Ha en AOP Minervois et 46 Ha en Vin de Pays d’Oc. La commercialisation est effectuée par le groupement de producteur Vinadeis (Ex- Val d’orbieu).
Etre vigneron est un métier difficile et ils en ont conscience. Il faut quelques fois être en capacité de cumuler près de 10 emplois différents en même temps, allant du commercial au juriste en passant par le plombier.
La famille De Fournas préfère ne pas s’éparpiller dans les compétences. Ils se consacrent à ce qu’ils savent faire le mieux : le vin. Du bon vin. La partie commerciale est laissée à ce groupement innovant, Vinadeis, et ceci depuis plus de trente ans, pour le bonheur de tout le monde. Ils sont représentés, de ce fait, en Allemagne, Belgique, Usa, Pologne et Japon. Ceci contribuant, comme avait pu le faire Louis XIV quelques années plus tôt, au rayonnement de Pouzols dans des contrées de plus en plus lointaines.
Ce sont des gens passionnés que j’ai eu la chance de rencontrer… D’autant plus que le Patriarche de la famille Monsieur Charles de Fournas est une personne fascinante, qui malgré son grand âge ne rechigne pas à faire visiter son village en grimpant les rues sans peine et à partager sa passion pour l’histoire.
A priori la 22ème génération est en train de boucler ses études pour prendre la relève pour le plus grand plaisir de de notre patrimoine et de nos papilles…
Finalement, lorsqu’on parle de château, nous parlons de pierres. Ce qui fait un bon vin, c’est le savoir-faire et la passion qui se cachent derrière.

